HABIT VERT PALE EPISODE 22 APPRENTISSAGE



HABIT VERT PALE EPISODE 22

APPRENTISSAGE


Il fallait apprendre la technique chirurgicale.
D’abord, les séances de dissection à l'amphithéâtre d'anatomie où on me regardait avec un rien d'ironie car j’étais la seule femme, mais où j’incisais avec habileté, car je savais coudre et couper depuis de longues années... Mais il y eut aussi cette terrible période d'incertitude, quand je me rendis compte que cette matière vivante me faisait peur. Peur de tailler dans le vivant, peur de ne pas savoir faire, de ne pas être à la hauteur. Peur, parce que femme, de ne pas avoir le geste précis, viril, le geste du chirurgien qui sauve. Cette peur, annoncée par Geneviève quelques années plus tôt, handicapait ma main, retardait mon geste et le rendait maladroit. Mes collègues masculins d'ailleurs, de quatre ou cinq ans plus âgés, avaient beaucoup opéré en Algérie ; ils ouvraient un ventre d'un seul grand coup de bistouri, sans se tromper jamais.

- Vous hésitez trois fois avant de poser une pince, hardi donc, dépêchez-vous ! Me dit un jour un assistant...

Après l'intervention, je m'en ouvre à lui :

- Pensez-vous que j'ai tort, étant femme, d'opérer ?
- Mais non, vous vous débrouillez bien, il vous manque seulement un peu d'assurance, vous devriez faire du cadavre frais...
Peu après, il m’a demandé de l'aider à disséquer des cadavres à la morgue pour injecter du plastique dans leurs artères... 
Le cadavre frais, non formolé, c'est à l’époque, après qu'on ait admis une fois pour toute d'en supporter l'odeur, le meilleur moyen qu'a l'apprenti chirurgien pour apprendre à disséquer le corps humain, comprendre l'anatomie, retrouver sans les abîmer nerfs et artères dans toute leur fragilité habituelle. 

Après avoir refoulé le rectum et la vessie, c'est la dissection délicate des vaisseaux utérins, (j’en profite, avant l'arrivée du chercheur, pour reproduire les gestes difficiles de la dissection d'un cancer, ce fameux décroisement entre l'uretère, canal de l'urine et l'artère utérine, clé des interventions difficiles...) Puis il faut injecter dans les vaisseaux une double dose de plastique qui va se solidifier en trente minutes, bleu pour les veines, rouge pour les artères... On enlève ensuite du petit bassin le bloc arborescent ainsi réalisé, profanation nécessaire au progrès chirurgical. Ainsi je devins plus adroite, précise, hardie dans mon geste naguère hésitant

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