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Affichage des articles du mai, 2019

LA MUSIQUE EP 3

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Elle devait garder de ce jour le souvenir de robes d'organdi blanc, de cierges allumés dans la semi-obscurité de la chapelle, d'un élan de pureté vers le ciel. Une retraite avait été prêchée auparavant par un moine aux pieds nus dans des sandales, au visage tourmenté, qui insistait lourdement sur la gravité du péché de chair devant son auditoire de religieuses et de vierges de douze ans.  La veille du grand jour, il tint à confesser lui-même les communiantes et Claire, qui achetait chaque semaine pour le chef caviste "Ici Paris" à la marchande de journaux de la ville et en lisait les pages humoristiques, s'accusa loyalement du péché de chair, car il y avait sur les dessins des femmes nues, ou même des femmes au lit avec leur amant et elle avait ri en cherchant à imaginer ce qu'ils pouvaient bien faire.  Dans l'ombre du confessionnal, les yeux du prêtre brillèrent d'un étrange éclat quand l'enfant lui eut décrit, sur sa demande, en quoi

LA MUSIQUE EP 2

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A la maison, il n'y avait pas de tourne-disque, et lorsque la TSF jouait par mégarde une symphonie ou un air d'opéra, il se trouvait toujours quelqu'un, maman ou la grande sœur pour dire "arrête donc, ça nous casse les oreilles", et tourner le bouton vers quelque émission plus agréable : Edith Piaf et les Compagnons de la Chanson, "une cloche sonne, sonne", ou un air de Charles Trénet. Totalement ignorante de ce que la musique pourrait un jour lui apporter, Claire apprenait pourtant avec application. Aux exercices de Czerny succédèrent "Le gai laboureur", puis "Le petit livre de Magdalena Bach", enfin les variations de Mozart sur "Ah ! vous dirais-je maman"...  Avec la classe de quatrième, sœur Marie Joachym fut remplacée sans qu'on sût trop pourquoi, par une mince et longue vieille demoiselle qui enseignait également le dessin. Mourant visiblement de faim depuis de nombreuses années, elle semblait avoir tro

LA MUSIQUE EP 1

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LA MUSIQUE Dès l'entrée en sixième chez les religieuses, il avait été décidé que Claire apprendrait à jouer du piano.  Les leçons de musique avaient lieu dans une aile réservée de l'école, dans des box de verre aux parois doubles où s'alignaient vingt pianos droits, bien sages comme de gros poissons dans un aquarium. De chaque box, pendant les récréations, s'envolaient des arpèges.  Sœur Marie Joachim, la religieuse hongroise, était le professeur de musique. On ne pouvait imaginer rien de plus sévère que son visage grêlé de taches de son, son nez retroussé, ses lunettes cerclés de fer.  Elle scandait du pied les exercices de Czerny que déchiffrait Claire, terrorisée. Il fallait que chaque doigt frappe juste la bonne note, et très fort ; c'est ainsi que l'enfant avait rencontré, pour la première fois, la musique.