LA MUSIQUE EP 4
C'est
ainsi qu'apparut, peu après, à la maison, convoyé par la camionnette du
vignoble, un piano d'études de marque Erard, qui ne joua pas longtemps très
juste, car il avait un cadre de bois contrairement à ce que le marchand de la
ville avait expliqué à Maman. Il faut dire qu'on l'avait placé dans la salle à
manger, pièce réservée aux trois grands repas de famille qu'on faisait à Noël,
à Pâques et pour la fête des Mères.
Par économie, cette pièce n'était pas
chauffée dans l'intervalle et pendant l'hiver, lorsque Claire vêtue d'un
pull-over et d'un manteau chaud s'essayait à y jouer le jeudi et le dimanche,
sa mère braquait contre ses jambes un vieux radiateur électrique de forme
soleil. Les passages du chaud au froid ne réussirent pas au pauvre piano dont
les cordes se détendirent peu à peu et qui joua de plus en plus faux.
De ses
touches une à une se décollèrent les carapaces d’ivoire ; beaucoup d'entre
elles oubliaient de se relever après qu'on les avait frappées. On s'aperçut au
printemps que des souris mélomanes avaient niché dans la caisse en dévorant le
feutre des marteaux. Claire et sa sœur s'efforcèrent de les remplacer en
découpant en morceaux un vieux chapeau de leur maman, mais le son n'était pas
le même.
Le
règne de la vieille demoiselle prit fin après deux ans de polonaises
agréablement accompagnées du pied sur la pédale, le jour où le percepteur de la
ville, ami de la famille, entendit jouer l'adolescente qui allait sur ses
quinze ans.
_
Il faut que cette jeune fille ait un véritable professeur, dit-il... Justement,
un de mes amis, pianiste de valeur, vient de s'installer dans notre ville.
Songez qu'il a tenu l'orgue pour l'enterrement de Sarah Bernhardt !
Il
ajouta, sans doute pour rassurer la mère :
- Il a près de quatre-vingts ans...
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