LA MUSIQUE EP 2

A la maison, il n'y avait pas de tourne-disque, et lorsque la TSF jouait par mégarde une symphonie ou un air d'opéra, il se trouvait toujours quelqu'un, maman ou la grande sœur pour dire "arrête donc, ça nous casse les oreilles", et tourner le bouton vers quelque émission plus agréable : Edith Piaf et les Compagnons de la Chanson, "une cloche sonne, sonne", ou un air de Charles Trénet.

Totalement ignorante de ce que la musique pourrait un jour lui apporter, Claire apprenait pourtant avec application. Aux exercices de Czerny succédèrent "Le gai laboureur", puis "Le petit livre de Magdalena Bach", enfin les variations de Mozart sur "Ah ! vous dirais-je maman"... 

Avec la classe de quatrième, sœur Marie Joachym fut remplacée sans qu'on sût trop pourquoi, par une mince et longue vieille demoiselle qui enseignait également le dessin. Mourant visiblement de faim depuis de nombreuses années, elle semblait avoir trouvé son Eldorado dans cette institution pour jeunes Savoyardes. 

Si frêle qu'un accord trop fort plaqué l'eût probablement jetée par terre, elle semblait aussi terrorisée par ses élèves que celles-ci l'avaient été par la venimeuse sœur magyare. Mais elle aimait pourtant, elle aussi, qu'on joue vite et fort et qu'on s'accompagne d'une pédale triomphante. 

Claire la prit en amitié, en pitié ; elle s'appliquait avec fougue pour exécuter les polonaises de Chopin qui paraissaient être l'unique répertoire de la vieille demoiselle et demanda à sa mère de l'inviter à déjeuner à l'occasion de sa communion solennelle.


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