LA MUSIQUE EP 6 FINAL
Lorsque
le piano se tut comme tombe un orage, la grande sœur était rêveuse et maman
lança au percepteur son beau sourire :
- Oui,
dit-elle, je ne demande pas mieux que de lui confier ma fille...
Ainsi
les leçons eurent-elles lieu, chaque semaine, à Thonon-les-Bains, dans le petit
appartement qu'avaient loué le musicien et sa femme, sur un grand Pleyel au son
doux et perlé, comme on n'en avait jamais entendu.
- Allons,
dit aimablement le professeur, le premier jour : vous avez tout à réapprendre.
Il faut oublier ce cache-misère qu'est la pédale, et plus de polonaises. Ne
vous étonnez pas si je ne vous fais faire que des exercices, pendant plusieurs
mois. Commençons par les gammes...
Pendant
plusieurs mois donc, l'adolescente n'avait fait que des gammes et des
exercices.
Mais
on pouvait les jouer de tant de façons : tendrement, doucement (Andante),
allègrement, avec entrain (Scherzo), avec tendresse, pudeur, retenue (Moderato cantabile)
... Le métronome scandait le rythme d'une vitesse modifiée par le maître en
fonction du tempo et ces gammes, toujours renouvelées, étaient perçues comme un
jeu, comme un duo entre les deux mains, dont chacune faisait à son tour le
chant, le contre chant, l'accompagnement...
A
la fin de la leçon, le vieil homme jouait Debussy, Brahms, Mozart, et, peu à
peu, emmenait l'adolescente chaque fois plus loin dans le domaine de la
musique... Au bout d'un an enfin, il lui fit exécuter son premier morceau, une
petite pièce de Schubert qu'elle lut et joua, à sa propre surprise, aisément,
sans effort... Elle se rendit compte que la femme du musicien était entrée dans
la pièce et écoutait, debout contre le chambranle de la porte :
- J'ai
cru entendre mon mari, dit-elle en souriant avec gentillesse.
Ces
leçons durèrent trois ans, et qu'importe si parfois les mains du vieux
professeur s'égaraient à caresser les genoux de l’adolescente ? Il était si
vieux, si charmant, et la musique avait autrement d’importance !
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