LA MUSIQUE EP 5
L'enterrement
de la grande Sarah sonna le glas de la vieille fille : on ne pouvait pas ne pas
adopter comme professeur l'homme qui en avait été l'exécuteur musical. Le
Maestro entra donc un jour à la maison des vignes, véhiculé par le percepteur.
C'était un grand vieillard sec, d'origine italienne, qui baisa la main de
maman, se déclara charmé par son regard bleu et sourit avec bienveillance à
Claire tandis qu'elle exécutait au piano sa polonaise habituelle.
Puis
il se leva avec lenteur, s'étira, s'assit devant le piano droit d'études et
attaqua sans préambule "La mer" de Debussy dont il avait placé la
partition sur le chevalet.
Pauvre
piano, on eût cru le voir plier sous la tempête... Les longs doigts du
musicien, aux veines noueuses, tavelés de taches brunes de vieillesse, ces
doigts couraient sans effort d'un bout à l'autre du clavier ; et ce fut le
bruit des vagues sous l'orage, le grondement de la mer en furie, les nuages
courant sous un ciel démonté... Claire, tout à la tâche de tourner les pages,
suivait tant bien que mal la partition et relevait derrière les mains
endiablées les touches récalcitrantes.
Parfois, la main droite de l'artiste
s'impatientait et restait un instant suspendue en l'air car il manquait au
piano droit une gamme haute, tandis que la main gauche continuait son bruit
d'orage. Le visage inspiré se crispait un instant lorsqu'un accord vibrait d'un
son trop désaccordé... Il y eut pourtant, malgré tous ces détails, un grand
moment où la musique, la vraie, déferla sur cette famille paysanne.
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