HABIT VERT PALE EPISODE 17



L’INTERNAT


Revient le temps des vacances. Penchée sur des livres, j’apprends et réapprends des questions d'internat. C'est bien autre chose que le précédent concours, trop facile. Il faut tout apprendre, parfaitement.
Sur 1 500 candidats, 150 seront nommés Internes des Hôpitaux de Paris, ce titre si envié qui garantit la qualité d'un médecin. L'hiver passé, Je n'ai pas brillé dans les conférences de préparation au concours...
Les candidats internes, par groupe de dix à quinze, se réunissent chaque semaine autour d'un chef de clinique réputé. Un des élèves doit écrire le sujet du jour ou "question", décrire une maladie et son traitement sans omettre un détail. Puis on fait un tour de table : les autres étudiants critiquent, jugent, complètent. Enfin, le chef de clinique reprend entièrement le sujet. En un français parfait (on y attache à l'époque de l'importance), il décrit la maladie, reprenant éventuellement certains termes utilisés par les élèves, s'ils étaient satisfaisants, ou, souvent, les remplaçant par d'autres, plus concis, plus corrects. Les stylos volent, prenant à toute vitesse des notes. L'attention est si dense que les souffles se suspendent au rythme de la phrase du conférencier et qu'un long soupir s'exhale de quinze poitrines quand il fait une pause entre deux paragraphes.
Après ma préparation hâtive de l'externat, je manque de bases, et, trop littéraire, j’ai du mal pour trouver les termes scientifiques. La première "question" que j’ai rédigée a déclenché un fou rire quand je l'ai lue d'un ton dramatique : c'est le cancer du rein. J’étais allée puiser à la bibliothèque de la Faculté de Médecine dans les livres du grand Couvelaire, patron célèbre d'urologie et y ai trouvé une idée brillante : si l'on découvre en cours d'intervention qu'il s'agit d'un cancer et qu'on doit pratiquer l'ablation du rein, il faut réveiller le malade et avant de le rendormir, lui expliquer ce qu'on va faire et que sa vie est en jeu.
- Imaginez-vous dans cette situation dit Moreau, le conférencier : voudriez-vous qu'on vous réveille pour vous annoncer une aussi bonne nouvelle ? On ne le fait jamais... Et ne parlez pas de cela d'un air si triste : un bon médecin n'a pas de sentiments.


C'est le jour du concours, un matin brumeux de novembre. Après un petit café avalé à la hâte, mille cinq cents étudiants planchent dans l'immense salle Wagram, louée par l'Assistance Publique pour la circonstance ; elle sert de bal ou de lieu de concert habituellement.
Les garçons sont nombreux, environ neuf pour une fille. Elles représentent pourtant 50 % des effectifs en première année de médecine, mais à cette époque beaucoup d'entre elles se marient avant la fin de la troisième année et abandonnent leurs études. D'autres échouent aux examens et s'orientent vers des voies paramédicales plus faciles : sage-femme, kinésithérapeute. Seules les plus brillantes osent se présenter à l'Internat.
Sur des cahiers à longues lignes qui rappellent ceux du baccalauréat, on inscrit en haut et à gauche son nom, son adresse dans une sorte d'enveloppe que l'on cachète ensuite, car ce concours est rigoureusement anonyme. Les sujets sont dictés : Syphilis... Catastrophe pour moi qui avais fait l'impasse totale et me demanderai pendant une heure combien il y a d'Y grecs dans ce mot. Les autres sujets sont plus classiques : anatomie de l’estomac ; fracture de jambe... Je rédige avec facilité, aidée par une ampoule d'amphétamine. Ce dopant cérébral que l'on juge non dangereux est volontiers utilisé par les étudiants dans les années cinquante.
Deux jours plus tard, je comprendrai que cette facilité était trompeuse : emportée par une sorte d'enthousiasme, le sens critique diminué par le médicament, j’ai négligé des détails, mal rédigé le diagnostic différentiel et le traitement. Je ne prendrai plus jamais d'amphétamine.

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