HABIT VERT PALE EPISODE 15
Un jour, une jeune femme est amenée aux urgences, exsangue, le ventre
crispé sur une douleur vive. Elle pousse un grand gémissement quand Geneviève,
armée d'un doigtier de caoutchouc, plonge un long index dans son vagin.
- C'est le cri du Douglas, dit l'interne avec un sourire. Grossesse
extra-utérine rompue. Au bloc, tout de suite.
Au bloc, tout de suite. Geneviève se hâte lentement, derrière les
brancardiers. Ne pas courir, ne pas s'affoler, est une des premières qualités
du chirurgien. Je dois suturer un doigt (trois points, cela te prendra cinq
minutes) puis rejoindre l'interne. Pendant que l'infirmière commence le
pansement, je me précipite dans le couloir vers le bloc opératoire. Geneviève,
déjà habillée de vert pâle, badigeonne la peau, aidée par la panseuse de garde.
Je bâcle le lavage des mains et entre dans la salle d'opération.
- Tu n'as pas mis trois minutes pour te laver les mains dit
Geneviève, sans tourner la tête. Recommence. J'inciserai sans toi.
Honteuse, je reprends la cérémonie du lavage des mains en cinq minutes.
La brosse est dure et irrite la peau. Je suis enfin habillée de vert par la
panseuse. Les mains levées sont revêtues de gants. Je peux aider Geneviève qui
s'apprête à ouvrir le péritoine.
- Alors, petit lapin, on bâcle le travail ? Il ne faut jamais,
jamais. Quand on a l'honneur d'être chirurgien...
Le ventre ouvert révèle ses mystères. Du sang, beaucoup de sang, qu'on
aspire. Preste, la main de la grande femme plonge dans les profondeurs, ramène
en surface une trompe farcie de bleu par des caillots comme une aubergine
éclatée. Une artère saigne en jet, une pince la saisit. C'est fini. La malade
est sauvée. Il n'y a plus qu'à lier l'artère et enlever la trompe. J’aspire le
reste du sang, lave avec du sérum les anses intestinales et une fois de plus
m'émerveille d'agir à l'intérieur d'un autre être vivant. J’aide ensuite
Geneviève à recoudre la paroi, plan par plan : le péritoine par surjet de
catgut ; l'aponévrose au nylon, en points séparés, car elle doit être très
solide.
- On voit que tu sais coudre et tricoter dit Geneviève, rien qu'à ta
façon de tenir les fils.
- Oui, j'aime ça, je fais mes robes, j'ai même réussi un tailleur.
- La connaissance de la couture avantage les filles au début, mais
méfie-toi, les garçons apprennent vite et ils n'ont pas peur, eux.
- Peur ! dis-je en riant.
- Oui, peur. Peur de mal faire, de faire moins bien qu'un autre,
moins bien qu'un homme, de ne pas être à la hauteur... Souci bien féminin ;
cela m'a handicapée au début. Enfin, tu verras...
Je devais bien souvent, plus tard, me souvenir de ces paroles de
Geneviève.
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