HABIT VERT PALE EPISODE 11 MORT D'UN COUVREUR
HABIT VERT PALE, MORT D'UN COUVREUR
- Allons, jeune fille, allons voir l'urgence de médecine. Je vous
emmène. Mettez votre capote, il faut traverser les cours.
Il part à vive allure sur ses grandes jambes et je me précipite pour le
suivre. Mais notre élan est stoppé par l'arrivée en trombe d'un car de
pompiers, toutes sirènes hurlantes.
- Les pompiers sont pour nous dit Parinaud : les intoxications vont
à Fernand Vidal, on nous amène la chirurgie. C'est grave, ils sont à huit. Il y
a deux perfusions et l'oxygène.
Il se penche sur le brancard où suffoque un homme jeune sous un masque.
C'est un couvreur, tombé d'un toit, plusieurs fractures. Le visage est cyanosé,
la respiration irrégulière ; il a brusquement une sorte de hoquet et ne bouge
plus.
- Massage cardiaque, vite !
Agenouillé par terre, à côté du brancard, les deux mains appuyées en
force sur le thorax, le chirurgien donne des secousses rythmées : 1,2,3,4,5, il
s'arrête le temps qu'un des pompiers appuie sur le ballon du masque et fasse se
soulever le thorax pour une respiration.
1,2,3,4,5, une insufflation, 1,2,3,4,5... Bardier la surveillante et
Françoise ont placé aux jambes une transfusion dont elles accélèrent le débit
par une sorte de moulin mécanique. 1,2,3,4,5... Au bout de longues minutes,
Parinaud se relève, le visage en sueur, le teint grisâtre. C'est fini... Pour
la première fois, je suis confrontée à la mort brutale d'un homme jeune. Ainsi
il n'y avait rien à faire. Ainsi ce garçon aux cheveux blonds lisses, aux
muscles forts, qui vivait, respirait, chantait, baisait sa femme et travaillait
sur les toits de Paris comme dans les livres de Zola, après un geste, un faux
geste, au terme d'une longue et vertigineuse chute, s'est cassé comme un jouet
sur le trottoir. Sa vie a palpité encore au bord du gouffre pendant de longues
minutes et l'interne, ce puissant archange, cet homme qui peut tant de choses,
n'a pas pu l'arracher au néant. Ainsi il n'y avait rien à faire, rien...
Les pompiers ont disparu, happés dans leur car comme des marionnettes que
l'on range. Les brancardiers ont recouvert d'un drap le visage blanc et
l'emportent à la morgue. Bardier remplit les papiers d'entrée et de décès.
C'est elle qui téléphone à la famille :
- Allô ! Vous êtes bien Madame Derain ? C'est l'hôpital Tenon. Il y
a eu un accident... Pouvez-vous venir, c'est grave...
- Venez, je vous ai préparé un Todd, dit Françoise.
Le Todd, c'est le reconstituant de l'Assistance Publique, une sorte de
grog, mélange léger de rhum, d'épices et d'eau chaude que l'on sert aux
patients effrayés et trop pâles, et aux jeunes médecins au cœur sensible.
Excellent contre le choc adrénalinique, dit Parinaud qui s'en envoie une
large rasade. Allons, allons jeune fille, allons voir l'urgence de médecine.
Celle-là ne nous claquera pas dans les doigts !
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