HABIT VERT PALE episode 10 URGENCES PANARIS PLAIE DU BOUCHER APPENDICITE
La salle des urgences est une sorte de long couloir dont l'entrée est
quasiment bloquée par un bureau de chêne où trône une infirmière âgée et obèse,
portant sur sa coiffe les trois barrettes noires de la surveillante.
C'est vous la remplaçante d'externe ? Je vous ai laissé déjeuner
mais il y a du pain sur la planche. La chirurgie est à gauche, vous avez déjà
cinq urgences !
Le mur de gauche est longé par un banc de bois sombre où attendent, l'air
inquiet, perdu, une dizaine de personnes en civil. Certaines ont des bandages
ensanglantés. D'autres se tiennent le bras ou l'épaule. La salle sent la sueur,
la crasse et le sang séché. Une infirmière jeune et souriante fait lever le
premier malade et l'emmène avec moi dans une salle carrelée où on l'étend sur
un lit d'examen.
- C'est un panaris du pouce dit-elle avec importance, une fois
défait le pansement. Il faut signer le bon d'admission et le garder pour
l'interne, on l'opérera dans l'après-midi.
Le patient suivant s'est coupé l'index avec un rasoir en posant une
moquette.
- Rien de grave dit l'infirmière : il va tremper son doigt pendant
dix minutes dans un bol de permanganate, je lui fais un sérum antitétanique et
vous le suturerez.
Je jette un regard apeuré à l'infirmière :
- Je ne l'ai jamais fait.
- N'ayez pas peur, on vous montrera, répond l'infirmière.
Voici une jeune fille pliée en deux, le visage pâle et tiré.
- J'ai très mal au ventre depuis ce matin...
Je la fais allonger et palpe doucement le ventre à deux mains : il est
souple et respire bien (pas de péritonite).
- Aie ! dit la malade en se contractant quand les mains atteignent
la région iliaque droite :
- Avez-vous vomi ?
- Non, mais j'en ai envie sans cesse.
- Prenez votre température... 38. C'est probablement une appendicite
!
Fière de mon diagnostic, je regarde triomphalement l'infirmière qui
sourit avec indulgence :
- En effet. Signez son bon d'admission, on l'opérera tout-à-l ‘heure...
Ne mangez et ne buvez plus rien, Mademoiselle. Je vais vous faire une prise de
sang...
Un brouhaha éclate dans le long couloir des urgences. Quatre flics
amènent, sur un brancard, un jeune homme très musclé dont le visage est crispé,
la main appuyée sur l'aine gauche comprimant un pansement ensanglanté.
- Vite, c'est un boucher de la Villette qui a eu un geste maladroit,
l'artère saigne.
Avec une rapidité magique, le jeune homme est couché sur la table
d'examen, le doigt toujours crispé sur son pansement.
- N'y touchez pas dit l'infirmière, c'est peut-être l'artère principale
de la jambe, et ça risque de saigner beaucoup...
Déjà Parinaud est là, surgi de sa sieste. En un clin d'œil, il a mis ses
gants, saisi des instruments chirurgicaux posés sur une petite table, dans un
plateau. Alors seulement, il dit au jeune homme :
- Levez votre main, tout est prêt !
L'infirmière soulève le pansement, le sang jaillit rouge et saccadé, le
doigt du chirurgien comprime l'artère, une pince se pose avec délicatesse.
C'est fini, l'artère est clampée ; ce n'était pas l'artère fémorale, si
importante, mais une branche mineure. Tout le monde se regarde et rit, le jeune
boucher comme les autres. Son patron lui avait appris à l'avance cet accident
grave et classique : le couteau dérape sur la table pendant qu'on taille la
viande, sa pointe pénètre dans l'aine, là où il y a de gros vaisseaux.
"Tout de suite, petit, le poing dessus et tu ne le bouge plus jusqu'à
l'hôpital, devant le chirurgien".
Il faut faire maintenant un nœud de catgut sous la pince.
- Mettez des gants et faites-le dit Parinaud.
Ayant passé la soirée de la veille à apprendre le nœud chirurgical, je
m'exécute assez vite, et bien.
- Vous l'avez sauvé ! dit Parinaud en enlevant la pince. Il faut
maintenant désinfecter la plaie et suturer avec une anesthésie locale ; je vais
vous montrer comment faire...
Pendant tout l'après-midi, je nettoie, suture de petites plaies du doigt,
de la main, du genou…
En amont de mon geste, Bardier la grosse surveillante a, dès l'entrée,
trié d'un coup d'œil la gravité du cas :
- Petite chirurgie à gauche, pour l'externe. Médecine à droite, ça
peut attendre... Chirurgie urgente : l'interne, tout-de-suite !
Une sonnette sous son pied la
relie directement à la chambre de garde et le téléphone prévient le bloc
opératoire.
A côté de la surveillante, Françoise, la jolie infirmière, apaise de son
sourire l'anxiété du patient, fait rosir sa pâleur, enlève le pansement, me
souffle le fil à choisir, le nombre de points, lorsque l'interne est absent.
- Ce n'est pas pour vous dit-elle en découvrant le visage tuméfié d'une
belle fille qui s'est disputée avec son ami et dont la figure est balafrée par
un tesson de bouteille. Nettoyez et l'interne suturera lui-même avec des fils
très fins.
- Ce n'est pas pour vous dit-elle en retirant de mes mains le pouce
d'un vitrier. La dernière phalange ne plie pas, le tendon est touché : il
faudra l'opérer au bloc.
- Ce sera pour vous, soupire-t-elle devant une jeune femme blême,
qui se tient le bas-ventre à deux mains, un ventre d'où sortent des caillots.
Avortement provoqué : je lui injecte d'abord un sérum antitétanique car elles
utilisent parfois des végétaux : branche d'arbre, tige de lierre... et elle ne
nous dira jamais ce qu'elle a fait. Puis un million de pénicilline. Voilà pour
l'infection. L'interne vous montrera comment faire le curetage : il n'aime pas
du tout s'en occuper.
Parinaud, qui vient de réduire une luxation d'épaule dans la pièce de
radiologie, surgit :
- Combien de blocs ?
- L'appendicite. Un tendon. Un visage de jeune femme. Un avortement
que vous donnerez sans doute à l'externe et peut-être une hernie étranglée
qu'on nous a annoncée de médecine : il faut aller la voir à Laennec.
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