HABIT VERT PALE EPISODE 6



L’HABIT VERT PALE EPISODE 6

LE PRE SALAIRE

(Vous avez compris que Claire, c’est moi : pour la suite, je parlerai à la première personne)

Une réunion d'un syndicat d'étudiants en Médecine. On milite pour obtenir le "présalaire", qui doit être versé chaque mois. Ils sont trente autour d'une table, dans un local prêté par la maison des étudiants. Le délégué expose l'intérêt du présalaire "qui éliminera une fois pour toutes les différences sociales entre fils d'ouvrier et fils de notaire..."
On discute gravement du montant de cette allocation.
- Nous n'accepterons pas le minimum vital ! Des intellectuels doivent recevoir de quoi vivre décemment...
Puis on propose un tour de table. A moi de donner mon avis :
- Mon avis, c'est que j'en voudrais bien moi, de ce présalaire. Ma mère est veuve, j'ai en tout pour vivre, une fois payé mon logement, trois mille francs par mois. Mais où diable voulez-vous que le gouvernement le prenne, cet argent ?
Aie ! La gaffe ! Le chef de table ne daigne même pas répondre et, d'un mouvement du menton, passe au suivant. Aux regards amusés de mes amis, je comprends avoir fait une bévue. Il est acquis, ce présalaire. On en est à régler son montant et d'autres détails. Dieu que cette fille est bête !
Allons rattrapons-nous ! Montrons qu'on a été en tête de classe et entrons dans l'œuf du syndicalisme. Dans la conversation qui suit, je glisse cette fois une question intelligente :
- Quand un étudiant marié aura le présalaire, sa femme, si elle ne travaille pas et n'est pas étudiante, aura-t-elle droit à la Sécurité Sociale ? Aux Allocations Familiales ? Et sur quelle base ? Et quelle retraite en cas de décès du mari ?
Ah ! Voilà une question qui est bonne ! Les hommes n'y avaient pas pensé. Bien sûr, il faut réclamer ces avantages qui devraient aller de soi, mais on ne sait jamais. On discute gravement des droits à l'allocation de veuvage après la mort de l'étudiant pré-salarié...
Je quitte la réunion sous les regards amicaux des syndicalistes : "une fille intelligente et qui sait penser aux détails pratiques".
- C'est bientôt le 25 Décembre et j'ai cru longtemps au Père Noël, malgré les sarcasmes de mes camarades d’école ; ma mère était tellement persuadée de son existence ! Je devais avoir près de sept ans quand j'eu l'idée de chercher une explication définitive dans le dictionnaire. J'ai pris, dans la bibliothèque familiale, le tome sept du grand Larousse. Toute ma vie, je me souviendrai de ma déception en ouvrant ce livre à couverture vert sombre, orné d'une sorte de fée soufflant sur un pissenlit. Il était là, en bas de page, mon ami le Père Noël, très reconnaissable bien que dessiné en noir et blanc, sans sa robe rouge. En regard, j'ai lu des mots atroces : "personnage mythique", "croyances enfantines"... J'ai mesuré d'un coup le gouffre qui sépare le monde réel des adultes et celui de l'enfance avec ses illusions.
Ils ont raison, nos camarades, de croire très fort au Père Noël. Sans doute ont-ils vérifié dans le Larousse eux aussi, mais ils préfèrent persister dans leur croyance et, à force d'y croire, peut-être bien qu’il leur apportera le présalaire en cadeau.
 Le présalaire étudiant ne sera jamais accordé.


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